Avec mille précautions, du fond de son grenier de rédaction, Laya vient enfin de réussir à désincruster un parchemin de sa reliure de cuir. C’est assurément le plus vieux du lot, il est daté de 1295! Beaucoup de texte est écrit en langue ancienne et s’est effacé sous les siècles. Mais à force de journées passées à la bibliothèque et aux archives de la ville, la rédactrice a pu déchiffrer et vous retranscrire depuis l'anglais médiéval un passage précis de la vie d’un certain Terry Waldham, éleveur de Vivets dorés. Quand elle a rejoint sa rédaction , elle semblait avoir les yeux humides. « Traîner des jours dans un grenier à déplacer de la poussière, ça ne pardonne pas ! » Mais elle ne semblait pas éternuer du tout, pourtant. |
Je viens de consulter la grille de la prochaine saison de Quidditch. Ma foi, les commandes vont suivre ! Je me réjouis et me frotte les mains. J’adore mon métier ! Avec ma femme, nous élevons des Vivets dorés depuis notre mariage, ça va faire 30 ans. Le succès est venu très lentement, mais aujourd’hui, les organisateurs sportifs s’arrachent les petits oiseaux dorés sortant de notre écurie. Et je ne crois pas si bien dire, ils sont justement élevés dans ce but : être lâchés dans une immense arène de Quidditch, et coursés par deux joueurs pour assurer la victoire de l’un d’eux. Toute cette énergie, cette tension pour arriver à la sublime seconde où tout se joue…. J’adore mon métier !
Je m’occupe de surveiller les éclosions, du sevrage, de la livraison à l’organisateur sportif et des relations avec les clients. Ma femme Milla se charge du nourrissage et des soins médicaux. Elle traitait elle aussi avec les clients au début, mais elle a fini par me passer le relai. Comme quoi « ça la décourageait », qu’elle m’a dit. Je n’ai pas trop compris, moi j’adore mon métier !
En fait, je crois bien qu’elle fait à tout bout de champ une erreur classique : elle s’y attache immédiatement. Elle leur donne à chacun un petit nom, elle les cajole et ne veut plus jamais s’en séparer. Elle voulait même commencer à leur apprendre des petits tours amusants, j’ai du la sermonner avant qu’elle ne gâche un lot d’oiseaux pour le client. Et bien sûr, quand nous avons fini notre travail et livré nos petits protégés aux organisateurs, elle ne supporte pas de voir leur fin.
C’est vrai que j’essaye de ne pas m’attarder sur ce détail, après tout ça ne me regarde plus. Dans le meilleur des cas, les Vivets sont tout simplement broyés par la poigne trop rude du joueur gagnant. Mais il arrive aussi parfois qu’aucun joueur n’arrive à l’attraper. Le Vivet a alors fourni un tel effort qu’il est en épuisement total. Il est alors plus pratique de le tuer, tout simplement, et d’en prendre un nouveau pour le prochain match.
Milla vient de me demander si j’avais vu Twill aujourd’hui. Je soupire, elle doit parler d’un des Vivets qui constitue le lot que j’ai livré aujourd’hui à Leicester. Je lui ai pourtant dit et répété de ne plus donner de petits noms, ça rend le tout encore plus difficile pour elle. Peut-être que si nous avions eu un enfant à nommer, ça lui passerait… Je prends beaucoup de recul sur mon travail, je ne veux pas être trop impliqué émotionnellement comme elle. Si nous avons aussi bien réussi, c’est parce que nous adorons ce métier !
Le soir à table, nous avons parcouru ensemble le résultat des matchs de cet après-midi. L’article signale que les joueurs étaient tellement en forme que tous les Vivets que je leur avais fournis avaient fini en tas de plumes dorées mouchetées de rouge « qui croustillaient sous la main ». Ca avait bien fait rire le public. Moi, j’ai eu ma Milla complètement muette toute la soirée et j’ai vu ses yeux pleins de larmes toute la nuit. Est-ce que c’est ça dont elle voulait parler quand elle m’a dit qu’elle ne voulait plus traiter avec les clients ? J’ai profité de l’ombre de la nuit pour cacher que moi aussi, j’étais quand même retourné. Parce que Twill, moi aussi je l’appelais par son petit nom quand je m’occupais seul de lui. Parce qu’il aimait bien venir picorer dans ma barbe et que ça me chatouillait doucement. Je prends beaucoup de recul dans mon travail, mais au final, je crois que je déteste ce métier…