Le quotidien d’une rédaction sorcière est quelque chose de trépidant. On s’interpelle, on donne l’ordre du jour, on court répéter la grande info à son voisin. On envoie parfois un Silencio à qui veut nous couper l’herbe sous le pied, la chef se lance un Sonorus pour couvrir tout ce poulailler. Mais pour aujourd’hui, Laya est restée tapie dans le grenier de la rédaction à lire une journée de la vie de Hercule Waltham, crieur public en 1890. Et elle s’est sentie assez honteuse des Silencio qu’elle avait pu envoyer ces derniers temps... |
Par Merlin, ce froid pique et mord! En belle saison, mes voyages de crieur public sont bien agréables, les gens écoutent un peu plus les nouvelles que je leur apporte. Et tant pis si à la longue, mon Sonorus fatigue tout le monde, je peux me reposer sous un rayon de soleil passant sous un saule et m’éclaircir la voix en chantant avec les bouvreuils. Mais en hiver…. Crénom d’Merlin! Les routes tournent en rond et n’arrivent jamais, les gens ne veulent pas m’entendre alors que je n’ai rien commencé...
Le bourg du jour est Wrexham. Sur la place principale, je commence à déballer mon tambour, dégaine mon parchemin. Je sens déjà les regards découragés “Oh non, avec ce froid, on va en plus se faire casser les oreilles!” Un mouvement de ma baguette de bouleau, je pointe mon cou et lance un Sonorus. D’un coup, c’est comme une écharpe de laine épaisse. Moi qui me raclais la gorge, m’inquiétais de commencer à m’enrouer… Paf, c’est comme si ma voix était parfaitement à l’aise, puissante comme un cheval en pleine course, profonde comme une caverne de montagne. Avec le temps, nous autres crieurs arrivons à faire durer les Sonorus sur nous parfois pendant des heures!
Wrexham sait maintenant que le Ministère va règlementer l’utilisation des balais Lancechêne. Une vente de charité aura lieu samedi 8 mars, ils pourront y amener leurs vieilles affaires à donner. Une nouvelle auberge a ouvert à Johnstown, on y sert un bon potage de citrouille avec du lard. Je lis les nouvelles l’une après l’autre, sans que le ton ne baisse. Sans sentir le froid ou les moqueries des villageois. Les gamins m’imitent en braillant. Quand j’ai fini, j’en profite pour rugir un bon coup pour les faire déguerpir, ça leur apprendra à ces sales mioches!
Mais je sais que je devrais être plus prudent et ne pas me faire remarquer en plus de mon travail. Il y a cette mode, apportée par de jeunes blanc-becs de la grande ville. Un sortilège qu’ils ont tellement mal bricolé qu’une fois lancé, ça vous coupe le sifflet jusqu’à ce qu’ils décident de l’enlever. Autant dire que pour nous autres crieurs, ça dure longtemps. Parfois des jours. Silencio, qu’ils appellent ça. Eux, ça les fait pas mal rigoler. Les villageois, ça les soulage bien. Et nous… on peut plus travailler parfois pendant des jours. On est fatigants pour leurs oreilles, mais puisqu’ils ne savent pas lire, ils sont quand même bien contents d’avoir les nouvelles du pays. Dans leur tête, ça tourne en rond autant que les routes autour de leurs villages.
Moi ce que j’aurais bien voulu, c’est être chanteur. J’aime bien accompagner les oiseaux et ça me calme la gorge, au lieu de lire les parchemins tout le temps à plein volume. Je trouve même que je me débrouille moins pire que les sorciers des champs ou les lessiveuses de ferme. Si les villageois m’entendaient chanter comme j’aime le faire seul, sur la grande place au lieu des nouvelles de tous les jours, peut-être qu’ils aimeraient ma voix. Ça ferait bizarre, que des gens soient contents de m’entendre. Pas le cheval en pleine course ou le rugissement qui fait peur. Juste chanter quelques chansons que j’ai retenu lors des bals. Que ça leur fasse du bien, et à moi aussi…
“Il a fini là? C’est bon?” La vachère qui a posé la question à sa voisine m’a coupé dans ma pensée. Oui oui, j’ai fini et je m’en vais, ne t’en fais pas la commère.
Prochain bourg: Summerhill. Je me remets vite en route, pas trop rassuré. Les collègues m’ont dit que plusieurs crétins de la ville sont de passage là-bas en ce moment. Enfin, ils me l’ont mimé.