Lorsqu’elle sortit de la confiserie, le nez rougi par le froid, Bergdis ne put s’empêcher de courir vers le parc, son précieux butin dans les mains. En cette cette journée froide, ses pas crissaient dans la fine couche de neige qui couvrait déjà les trottoirs. Dans ses mains gantées, un petit emballage violet ourlé d’or scintillait comme un bijou. Une chocogrenouille ! Bergdis en avait rêvé, elle en parlit depuis des jours, tannait ses parents pour s’en acheter une, avec son argent, dans sa belle édition de Noël. Une merveille cacaotée fourrée au praliné et décorée avec des petites touches élégantes de doré. Et la carte ? Une carte collector, que personne n’avait jamais pu voir avant. Bergdis en frétillait déjà d’avance.
-Par le caleçon de Merlin ! Reviens !
Et elle s’élança à la poursuite du petit animal enrobé de chocolat en agitant les bras d’une façon un poil exagérée. Le batracien facétieux dérangea une volée de moineaux qui, paniqués, s’envolèrent dans une masse floue de plumes et de becs. Une vieille dame outrée par la vue d’une gamine qui courrait après son chocolat laissa échapper un chapelet de remarques à grand voix. Non loin de là, un petit garçon, manifestement beaucoup plus intéressé par la grenouille que par le flot d’injectives de sa nounou, s’échappa discrètement de l’emprise de la vieille grue pour suivre la petite fille habillée curieusement de vêtements quelque peu surannés.
Bergdis, complètement absorbée par sa poursuite folle, avait réussi la tâche particulièrement délicate de coincer sa grenouille (dont le doré avait un peu disparu) dans un endroit plus calme du parc, près d’un modeste point d’eau qui était à deux doigts de geler, abrité par quelques arbres bas mais touffus. Alors qu’elle s’apprêtait à attraper l’infortunée friandise, une voix la fit relâcher son attention et cela fit regretter de ne pas avoir piqué la baguette de sa sœur alors qu’elle dormait encore.
-Tu veux de l’aide ?
Ayant faussé compagnie à la vieille taupe qui lui servait de nounou, Hans proposait une main à la petite fille, qui l’observait avec des yeux grands comme des soucoupes. Elle eut l’air outré, bien qu’elle prit quand même sa main pour se relever. En effet, il était normal pour Bergdis de se sentir agacée. Et un peu effrayée, aussi ! Il faisait froid, déjà, ce qui est toujours une bonne raison pour s’offusquer d’un rien. Ensuite, elle voyait bien que le petit garçon était un Moldu, à qui elle ne devait pas adresser la parole selon ses parents. Enfin, il y avait une raison encore plus atroce, plus terrible, plus abominable.
Il lui demanderait de partager sa précieuse Chocogrenouille!
Bergdis fit la moue, peu amusée par la perspective de rater ne serait-ce qu’une miette de praliné premier choix. Et pendant ce temps, la grenouille se faisait encore la malle. Elle laissa donc son nouvel ami (autoproclamé) sur place, et tel l’hippogriffe sur fond de soleil couchant qui trônait dans sa chambre, s’envola à la poursuite de sa grenouille, le garçon sur ses talons. Il lui demandait d’attendre, pour qu’ils puissent faire un pacte, quelque chose, un plan au moins !
Mais Bergdis était têtue comme un Botruc accroché à son arbre, et elle continuait de courir après le batracien dont le charme de mise en mouvement commençait enfin à se fatiguer. Elle bouscula quelques promeneurs, effraya quelques oiseaux mais n’en avait cure, car il lui FALLAIT absolument récupérer la bestiole. Puis, son plan (modestement, d’attraper la grenouille en chocolat et de la fourrer sans ménagement dans son sac) tomba à l’eau. Littéralement.
La grenouille s’était approchée du point d’eau, sans doute à cause d’un esprit grégaire qui ne lui appartenait pas. Seulement, son intellect n’était pas aussi développé que son élégance, et elle se fit capturer cruellement par une sirène qui passait par là. Oui, une sirène.
A ce point de l’histoire, chers lecteurs, il est bon de vous dire que les canaux de cette charmante ville septentrionale étaient peuplés d’êtres de l’eau relativement cordiaux, dont le régime était composé principalement de batraciens. Mais revenons à notre récit.
Avec un air vaguement intrigué, la dame de l’eau tenait délicatement la grenouille, autant qu’il était possible avec ses longs doigts palmés. Elle secoua le triste batracien qui semblait être dans les derniers soubresauts de sa courte, mais néanmoins remplie, vie. Lorsque Bergdis, suivie de près par Hans, arriva devant la sirène, elle agita les bras de nouveau et beugla d’une voix implorante.
-Rendez moi ma grenouille s’il vous plaît, c’est la mienne !
Penchant sa tête sur le côté, la sirène prit quelques secondes pour traduire. Elle avait laissé son guide de conversation à la maison, et elle ne comprenait pas très bien l’accent si particulier des jeunes humains. Elle agita un peu la grenouille, et comprit qu’il s’agissait de la nourriture de la jeune fille.
Et bien, si les humains se mettaient à piquer leur source de subsistance…
-Permettez-moi, jeune demoiselle, de vous demander une modeste contribution en échange de ce service, car si j’ai bien compris votre requête, il s’agit ici de votre bien qui s’était échappé de votre emprise. Très beau spécimen, soit dit en passant, c’est une espèce exotique ?
Bien qu’un peu déçue par son modeste emploi de la sémantique, la sirène se contenta de ces quelques mots bredouillés, comme une traduction quelque peu sommaire, mais au moins compréhensible. En effet, la petite fille vidait ses fonds de poches, cherchant dans sa petite besace, retournant, secouant les doublures… Avant de soupirer. Elle n’avait rien de valeur…. Mais alors qu’elle se lamentait, Hans tendit à la sirène timidement une petite pièce brillante.
-Oh je vous remercie, jeune homme, vous êtes bien urbain.
Et sur ces mots, elle lui tendit la grenouille qui avait retrouvé son immobilité et disparut dans l’eau sans aucun remous. Hans se retourna vers Bergdis et lui tendit la grenouille.
-...Je sais pas trop ce que je viens de voir, mais bon. Tiens. Ta grenouille. Ça marche comment, y’a un mécanisme ou… ?
Bergdis bredouilla un remerciement, puis se décida. Elle coupa la grenouille en deux, offrit une (la plus petite certes) moitié à son camarade du jour.
-Viens, je vais t’expliquer.
Et ils s’éloignèrent du canal en discutant, leurs pas crissant dans la neige.